
Préambule
Article réalisé en septembre 2003
La caulerpe à feuille d'if - tel est son nom
français - fait partie de l'embranchement
des Chlorophytes, de la classe des Ulvophycées, de l'ordre des
Caulerpales, de la famille des Caulerpacées, du genre Caulerpa et de
l'espèce taxifolia.
La Caulerpa taxifolia
Un
jour, alors que le vent d'est soufflait fort sur les Embiez et qu'une
grosse houle faisait éclater les vagues sur les rochers, je décidais de
ranger les arbalètes dans le Zodiac pour aller explorer la lagune du
Brusc, abritée des éléments déchaînés. Côté faune, c'est un peu
décevant : petits poissons de roche dans les posidonies, quelques
petits sars auxquels se mêlent de rares blanquettes (petites daurades),
des petits muges et des bancs de saupes. Au fond, se confondant dans
l'élément vaseux de couleur brunâtre, des petites esquinades ou
crabes-araignées rampent à la recherche de nourriture.
Cela ressemble à une nurserie d'où seraient absents les prédateurs
traditionnels.
Côté flore, le spectacle est fantomatique : les
posidonies brunâtres, recouvertes d'une algue mousseuse de couleur
blanchâtre, asphyxiées par le manque d'oxygénation, affleurent la
surface de l'eau tiédie par la canicule récente et rendue glauque par
le plancton et les matières organiques en suspension. Ces
herbiers se développent sur un enchevêtrement de rhizomes
sédimentaires, conduisant à un lent exhaussement du sol et que les
pêcheurs appellent "mattes". Ces mattes forment un récif-barrière de
posidonia océanica unique en Europe pour son extension et sa beauté.
D'ailleurs,
la Communauté Européenne, sous la tutelle du Ministère de l'Ecologie et
du Développement Durable, avec le projet Natura 2000 visant à protéger
les sites abritant des habitats naturels, terrestres ou marins, a
compris l'intérêt d'inclure la lagune du Brusc parmi les sites à
protéger et à sauvegarder. Quant aux sables peu envasés de la lagune,
ils sont colonisés par une phanérogame marine, la cymodocée dont les
rhizomes rosés et les frondes rubanées constituent une pelouse. Ces
phanérogames peuvent précéder l'implantation d'herbiers de posidonies,
ou au contraire reconquérir les sables d'où ces derniers ont disparu.
Mais c'était sans compter sur une espèce exogène nouvelle qui allait
coloniser ce benthos végétal et bouleverser l'équilibre naturel et
l'ordre immuable des choses : la
caulerpe à feuille d'if !
La caulerpa
taxifolia est
une algue verte, d'une belle couleur vert-fluorescente, haute d'une
quinzaine de centimètres dans les mers tropicales, mais qui pourrait en
atteindre plus en Méditerranée. Le thalle (ou appareil végétatif des
algues) comprend des stolons (ou tiges rampantes) portant des rhizoïdes
(ou racines) et des frondes (feuilles) pennées (en forme de plume),
d'environ 1,5 cm de large.
Il semble que la caulerpa taxifolia soit capable d'hétérotrophie,
c'est-à-dire qu'elle serait capable d'absorber le carbone et l'azote
d'origine organique. C'est une algue qui peut vivre plusieurs années :
on dit alors qu'elle est pérennante.
Ses frondes disparaissent, blanchissent pendant la saison froide,
mais une partie du stolon subsiste.
Du fait qu'elle se bouture très
facilement, un fragment de thalle transporté accidentellement par une
ancre de bateau, des filets de pêche ou tout simplement par les
courants marins, peut donner naissance à une nouvelle colonie à
plusieurs miles de l'endroit où elle a été arrachée ! Aussi, son
prélèvement, sa manipulation, son transport et son
éradication ont été interdits par Décret en date du 4 mars 1993
(parution au Journal Officiel le 25 mars 1993). Dotée d'un pouvoir
d'adaptation aux variations d'éclairement et de température de l'eau,
ainsi qu'à la diversité du substrat sur lequel elle pourrait se fixer,
elle a envahi avec rapidité tous les types de fonds marins de la mer
Méditerranée riche en sels minéraux. La caulerpa taxifolia renferme
des toxines dont la principale est la caulerpinyne, mais à ce
jour, aucun risque de toxicité pour l'homme n'a été démontré. Idem en
ce qui concerne l'éventuelle concentration en toxines, transmises par
cette algue, dans la chaîne alimentaire : en effet, les oursins
(pracentrotus lividus) et les poissons herbivores comme la saupe
(salpa salpa), largement consommés par l'homme, délaissent la caulerpe
et ne sont donc pas intoxiqués.
La caulerpa taxifolia est une
algue tropicale autotrophe, c'est-à-dire capable de se nourrir par
photosynthèse à partir d'éléments inorganiques. Découverte en
Méditerranée dès 1980, elle s'y est acclimatée suite au rejet
accidentel en mer, du contenu des aquariums tropicaux dans lesquels
elle était utilisée en tant qu' élément décoratif (Monaco,1989).
Rapidement, elle a envahi tous les types de fonds (sableux, rocheux,
vaseux), les mattes mortes des herbiers de posidonies ou les herbiers
de cymodocées en épiflore, comme ceux de la lagune du Brusc où la
présence de la caulerpa taxifolia a été signalée en 1992.
Cette algue menace les écosystèmes côtiers des cinq pays où elle s'est
développée rapidement : Monaco, France, Italie, Croatie et Espagne.
Dans la lagune du Brusc, une zone balisée de 3 hectares a été, suite à
un arrêté préfectoral, interdite à la circulation et à toute activité
autre que la recherche scientifique. Hélas cet arrêté est constamment
transgressé, et les risques de dissémination de la caulerpe en dehors
de ce périmètre sont réels. Son expansion est surveillée actuellement
par les chercheurs de l'Institut Océanographique des Embiez.
Personnellement, j'ai observé des caulerpa taxifolia en dehors de la
zone balisée. Elles ne se développent pas dans les herbiers de
posidonies, mais dans les zones où ces dernières ont disparu, voire
colonisées par les cymodocées. Elles sont présentes dans la lagune
jusqu'à une profondeur de 2 mètres, par petits paquets, et s'arrêtent
aux premiers tombants en allant vers le large. Emportées par le
courant, si elles sont arrachées, elles risqueraient de se bouturer
plus loin et donc se répandre dans les baies avoisinantes.
Si vous rencontrez des caulerpa taxifolia lors de vos
excursions en mer, faîtes un repérage précis de l'endroit où
elles se trouvent et envoyez les coordonnées à l'Institut
Océanographique Paul Ricard, aux Embiez, afin que leurs docteurs en biologie marine puissent étudier la progression de
cette algue qui risque fort de bouleverser l'équilibre de notre mer.
Sources
: Le site internet de Manuel Gonzalès (que je remercie au passage) pour
la richesse des données, lesquelles m'ont permis de concevoir cet
article.
